Grisaille

Edwige Boutet

Je suis allongée par terre, sur le parquet. Ma nuque bien à plat, les genoux relevés. Je respire du gris par mes narines, je respire tous les gris flottés, remués dans l’air, des masses grises serrées comme des nuages dans la pièce, des masses de grains serrés, des graines emplis de poudre serrée, collée, mêlée de teintes noires et blanches, des graines qui éclatent et poudroient en une seule masse grise étoilée, mouvante qui peu à peu se sépare se divise en plusieurs masses dont chaque grain, déjà en train d’éclater, dissémine sa poudre que j’aspire dans mes narines dans ma tête lourde. J’aspire à fond par lambeaux la poudre des gris, j’avale les gris du plomb, de l’ardoise, de la brume, des cendres, des poils, des rochers de la laine, du fer, du couteau, le gris du goudron des poissons du rat des écureuils des serpents du gravier du mercure de l’aube d’un torrent du feuillage des peupliers des murs de pintades de la gouttière du toit de la fumée des nuages du plâtre mouillé de la cervelle de papier mâché du cèdre des châtaignes des croûtes de lapin du rideau de la pluie des galets d’aluminium des barrages des forges de l’enclume du ciment des armures des boucles de ceinture du grillage du poteau des colonnes du fil de barbelé des anneaux d’acier de la tôle des chenilles des blockhaus de la sciure de phoque des lames des couverts des écrans d’huître des épines d’iguane du sable des lits du lin des draps des dents cariées des yeux des perles de charbon de la neige sale d’éléphant des balanes du lichens de perdrix du tarmac des hangars d’asticots de maquereaux de langoustes de palombes des hortensias fanées des briques de cigarettes de la laque des voitures des châteaux d’eau des montagnes pelées des déserts de rocaille de l’écorce du bouleau de la peau des baleines des viscères de carpe de l’ecchymose du buffle d’une blouse de crapaud du cuir des poux des balles de la poussière du marteau du verre pilé de coquillages des écailles de cobalt du dégel des taupes de la boue des ruisseaux de l’eau d’un canal d’une cour de fauvettes du mortier d’artichaut d’un carrelage de bulots du grés d’hippopotame des landes de tortues du chat de l’autruche de la houille des macreuses du trottoir des loups des pavements de musaraigne d’un grillage de moineaux du fil de pinceau de la mine de papier d’un visage d’épeautre du crachin de fleuve du matin froid des feuilles mortes du crayon de bois de l’étang du limon des grèves des algues pourries des nécroses de vagues du buvard des voiles d’écume du fard à paupière des lèvres d’un mort du brouet d’encre diluée de la peinture de crabe des sardines de canard du plastique du nickel de harengs des bâches de chiens des ânes des cernes d’une pièce d’argent du cendrier d’une cuillère de moisissure du platine d’imperméable d’une moustache de grisard d’une photographie de goélands d’une souche de mites de cheveux des tempes de zinc des ailes de souris du journal d’un grizzli d’un brouillon d’alouette des caves de homards des lavoirs de pigeons de limaces de chouettes des salles d’eau des boulons de la suie du vin de crevettes des grottes de la pierre d’alluvion des pics de ciel bas de la soie des moustaches du bromure d’argent de l’hiver d’un requin d’un costume de tabac des feutres des gilets de fourrure des bas des peluches de silex des couvercles de béton des pavés de grisou des semelles de chevaux des plaines de savon de poivre de lavandes séchées de la vase de tourterelle des salines de lézards des mouettes de farine de blé noir des montagnes d’un ciel d’orage d’anthracite d’un foulard de carbone d’une amulettes de plume de l’étain de la buée des chardons de la fiente de châteaux des blocs de scolopendres des coffres forts d’olives des cachots de sternes de la jute de mie de pain des broussailles de carton d’un chemin des narines de loirs de la route des gommes du cumin des moteurs de granit des falaises de fusain des chaînes de parpaing d’une cotte de maille d’un mors du clocher de l’aiguille des anguilles du marais des dauphins des joncs des aulnes de la limaille de sanglier du vieux foin de la glaise de kangourou du marbre de rhinocéros du crépuscule d’araignée des crevasses de chanvre du sentier des rues de la place de l’escalier du bouton de la porte du hall d’entrée de la pénombre du hall du tapis dans l’escalier de l’étage des murs du plafond du papier peint des fleurs dessinées du chambranle de la fenêtre du rideau transparent du papillon de nuit de la lune des rayons de la lune de l’ombre des arbres de ma jambe de mes mains de mes doigts de mes ongles de mes chaussures de mes lacets du plancher des nœuds du plancher de l’ongle qui gratte de l’écharde rentrée sous l’ongle.