Ce matin c’est l’hiver

Colyne Morange

Ce matin c’est l’hiver il ouvre la fenêtre et le ciel est gris blanc plombé plus de couleur pas de lumière il ne pleut même pas il se dit ça: il ne pleut même pas merde alors si seulement il pouvait pleuvoir ce serait quand même vachement bien, ça ferait ambiance bretagne mais là non c’est juste très calme pas un bruit, pas de voitures dans les rues silence silence blanc blanc gris ciel haut et bas à la fois et il y a une sorte d’odeur de bitume d’été chaud fondu dans l’air comme si l’air était devenu bitume chaud à peine posé collant et gluant qui laisse des traces et s’accroche aux chaussures propres et clean et class des gens qui se sont faits beaux pour les fêtes mais en même temps là quand il regarde par terre il voit bien que les trottoirs et la route sont juste passablement humides, un peu congelés mais pas vraiment. Il ferme la fenêtre en se disant mais ce n’est pas du bitume c’est sans doute du plastique qui crame dans l’appartement il cherche un peu mais non ça ne sent plus. Il ouvre à nouveau la fenêtre et ça sent encore. Alors il s’habille - parce que en fait quand il était devant la fenêtre il était à poil et d’ailleurs il avait même la main sur le sexe pas pour la pudeur mais juste comme ça parce que c’est une habitude qu’il a prise de quand il se tient debout devant les fenêtres nu en général il tient son sexe dans sa main, c’est comme ça, et c’est tout. Donc il s’habille. slip pantalon T.shirt ceinture chaussettes basquets ah non tiens chaussures de ville pour voir si jamais le bitume s’y accroche comme sur les chaussures des gens de noël puis gros pull grosse doudoune de ski bonnet bleu turquoise à paillettes écharpe mouffles il prend ses clés il ouvre la porte. Et là il se dit en fait non. Alors il se déssape d’un coup, il laisse tout par terre sur le pas de la porte et il sort à poil avec seulement ses chaussures de ville cirées sans chaussettes, et il descend les escaliers. Il marche dans les rues et de toute façon il y a personne donc ce n’est pas grave. Ce qui est vraiment chelou c’est que les magasins sont ouverts tous avec plein de lumière tout propres des petites lumières et des grosses lumières partout qui éclairent les vitrines il se dit que c’est quand même bizare qu’il y ait personne comme ça mais en fait c’est la nuit ? Mais non, le ciel est désespérément blanc blanc blanc. Il continue à marcher. Il veut savoir d’où vient cette odeur de bitume chaud d’été. Alors il marche. Il se dit que peut-être c’est l’évènement de Noël organisé par le maire, les voeux de la nouvelle année célébrés en haut d’un grand chantier d’un nouveau projet de parking à 15 étages d’où l’odeur très forte. Qu’ils auraient installé une type de solarium géant pour que tout le monde se retrouve autour d’un vin chaud de la nouvelle année pour faire un toast et puis ensuite une grosse teuf dans le nouvel immeuble à 15 étages. Il cherche mais il n’y a pas de tour, mais il n’y a pas l’air d’avoir de source, c’est à dire pas d’endroit précis d’où viendrait l’odeur de bitume cramé. Deux trois fois il accélère le pas. Il se dit tient je vais courir. Il passe dans la grande avenue la plus commerçante en mode footing sans écouteurs et sans jogging en rigolant et se dit ah mais il va y avoir des gens ici peut-être non ? ils vont me voir ça va les faire bien marrer de me voir à poil dans la rue. Mais il n’y a personne, non, non. Au bout d’un moment il a froid quand même. Même après la course. Chair de poule, peau toute bleue toute sèche. Merde putain mais mes couilles vont geler si je continue à déconner là. Alors bon. Il entre dans un magasin. Bonjour ! que dalle personne. Bon. Il choisit de très chouettes vêtements fluo c’est un magasin qui ne vend que du fluo. Alors il s’habille : il prend un slip jaune fluo, un pantalon super moulant en plastique jaune fluo - on dirait une immense capote géante pour les gens qui se sont fait greffer un deuxième sexe il pense - mais ça le fait bien marrer. Il prend un sweat jaune fluo il aime bien sentir son torse direct contre la matière sweat à capuche, et là en jaune fluo c’est complètement mortel, en plus de la sensation de la peau contre le coton il ya la sensation du jaune fluo contre les poils ça déchiiiiiire. Il va à la caisse avec les vêtements sur lui et il attend. Mais comme personne n’arrive il sort du magasin et ça sonne à fond. Mais tout reste très calme. Alors il continue à marcher dans les rues. Et là il se rend compte que la rue commerçante n’en finit pas. il tourne à l’angle parce qu’il en a marre de se croiser dans les vitres avec ce fluo qui était bien trippant au début mais commence à lui filer la gerbe. Donc il tourne et en fait il ya une autre rue commerçante vide avec des trottoirs à moitié gelés et c’est vraiment galère il glisse, il se casse la gueule, il tombe se relève. à chaque fois qu’il se relève il voit son visage dans la vitre d’un magasin. Et il n’aime pas trop. Alors il ferme les yeux et continue à marcher. Il se dit qu’il va bien se prendre un poteau ou une voiture à un moment mais qu’au moins il ne verra plus son visage et le jaune fluo en se relevant ce sera moins fatigant. Et puis il entend alors la musique diffusée dans les rues: c’est des chansons de noël chantées par des enfants et des chats. Ils ont du remixer des voix de chats pour donner l’impression de backing vocals de chœur de petits chatons tout mignon habillés en père et mère noël derrière des ribambelles d’enfants très mignons et très bien habillés devant des sapins blancs et des paysages de montagnes prises en photo et redessinés puis collés ou arrangés sur Photoshop et imprimés sur du carton pour faire le décor pastoralo-hivernal. ça fait un peu mal à la tête. Alors il ouvre les yeux. Et là il est arrivé devant une immense montagne. Il y a une immense montagne de bitume chaud et fumant sur la grand place. Une montagne très haute très noire et très collante comme un volcan qui fume. Il regarde un peu. Il reste quelques instants devant la montagne. ça le réchauffe. ça lui donne envie de faire du ski aussi. Et puis quand il est réchauffé et rassuré : il a compris pourquoi il y a avait cette odeur dans les rues, c’est bon, c’est ok, tout va bien, tout est calme, ça va ok, pas de problème. Alors il rentre chez lui.